Les origines interdépendantes
Dans le soutra de l’interdépendance, le Bouddha s’exprime
ainsi :
S’il y a ceci, cela s’ensuit ;
Parce que ceci est apparu, cela est apparu.
Il en est ainsi : de l’ignorance naît la volition…
En d’autres termes, pour qu’un événement ou une
expérience puissent avoir lieu, ils doivent être le produit
d’une cause, qui, elle-même, existe et constitue la conséquence
d’une cause précédente – si elle n’était pas l’effet
d’une cause précédente, il lui manquerait le potentiel ou
la capacité d’engendrer le moindre résultat. Selon le
Bouddha, si une cause particulière survient, l’effet qui en
découle ne peut pas ne pas se produire. Non seulement
cette cause doit être engendrée par une cause, mais en
outre cette cause précédente doit être liée à l’effet produit.
Il n’est pas exact qu’une cause donnée puisse avoir
n’importe quel effet ; seules certaines causes peuvent
engendrer certains effets.
Partant de cette affirmation, le Bouddha déclare que la
présence de l’ignorance fondamentale conduit au kamma
ou « acte ». Nos expériences de souffrance indésirables,
telles que la douleur, la peur et la mort, sont toutes des
effets engendrés par des causes correspondantes. Afin de
mettre fin à ces souffrances, nous devons donc mettre fin
à cet enchaînement de causes et d’effets. Le Bouddha a
expliqué comment, dans le cadre des douze liens des origines
interdépendantes, les éléments les plus anciens de
l’enchaînement donnent naissance aux éléments les plus
récents.
Il a également expliqué le processus de réversion
des douze liens des origines interdépendantes.
Les douze liens des origines interdépendantes (de la production
conditionnée) :
1) L’ignorance, menant aux
2) formations karmiques, menant elles-mêmes à
3) la conscience menant aux
4) nom et à la forme donnant
5) les six sources des sens donnant
6) le contact donnant
7) la sensation du sentiment conduisant à
la soif ou désir entraînant
9) la préhension ou attachement qui nous pousse à prolonger
10) le devenir ou existence, ce qui conduit à
11) la naissance ou renaissance menant elle-même à
12) la vieillesse et la mort.
en d’autres termes, en mettant fin aux éléments antérieurs,
nous pouvons éliminer les éléments postérieurs. En déracinant
la cause première de ce processus – en éliminant
notre ignorance fondamentale –, nous pouvons finalement
nous libérer de toute la souffrance et de son origine.
Dans les douze liens des origines interdépendantes,
l’ignorance est désignée comme élément premier de
la chaîne causale du kamma Ceci, me semble-t-il, reflète
la vérité fondamentale selon laquelle chacun d’entre
nous, instinctivement, désire le bonheur et cherche à
éviter la souffrance. Personne n’a besoin de nous enseigner
ce désir inné. Cependant, bien que nous possédions
cette aspiration naturelle, nous constatons que le bonheur
durable nous échappe et que nous restons emprisonnés
dans la souffrance. C’est la preuve que quelque
chose ne va pas dans notre façon d’être. Nous ignorons
les moyens de satisfaire notre aspiration naturelle au bonheur.
Ainsi les enseignements des douze liens des origines
interdépendantes, qui nous éclairent sur le fait que
l’ignorance est la cause première de notre souffrance,
nous font accéder à une connaissance véritable.
Bien sûr, la nature de notre ignorance fondamentale
suscite différentes interprétations chez les penseurs bouddhistes,
comme Asanga et Dharmakirti (1). Le plus souvent,
cette ignorance n’est pas simplement considérée comme
un état de non-connaissance, mais plutôt comme un
mauvais état de compréhension – nous croyons avoir
saisi alors que ce n’est pas le cas. Cette façon déformée
d’aborder la réalité nous fait appréhender les choses et
les événements comme si chacun d’entre eux avait une
sorte d’existence intrinsèque et indépendante.
(1) Dharmakirti (né vers l’an 600) : Philosophe et logicien bouddhiste
indien. Il écrivit des traités importants, dont le Pramanavarttika,
commentaire du Compendium des moyens de connaissance
valides(Pramanasamuccaya).
La connaissance
Le terme d’ignorance, dans son acception généralement
admise, peut se rapporter à la fois à des états d’esprit
négatifs et neutres. Par ignorance fondamentale,
toutefois, nous désignons ce qui est la cause première du
cycle de nos existences, un état d’esprit déformé. Parce
qu’il est déformé, et appréhende de façon erronée la
nature de la réalité, un seul moyen nous permet de corriger
son erreur : il nous faut générer la connaissance de
la nature véritable de la réalité afin de dépasser les
points de vue trompeurs suscités par l’ignorance. Cette
connaissance ne peut être obtenue que par la prise de
conscience de l’absence de fondement total de nos points
de vue erronés. Une simple prière : « Puissé-je être débarrassé
de cette ignorance fondamentale » ne pourra nous
permettre d’atteindre le but escompté. Il nous faut parvenir
à la connaissance.
Ce n’est qu’en cultivant cette connaissance et en pénétrant
la nature de la réalité que nous serons capables de
dissiper nos perceptions erronées fondamentales. Par
cette connaissance, ou sagesse, je me réfère à ce que la
terminologie bouddhique désigne comme la compréhension
de la vacuité, du non-moi ou non-soi, notions
sujettes à diverses interprétations selon les écoles philosophiques.
J’utilise ici ces termes pour désigner la vacuité
d’existence intrinsèque. Croire que les choses et les événements
possèdent une sorte d’existence réelle, indépendante,
telle est l’ignorance fondamentale. La connaissance
profonde de l’absence d’existence intrinsèque est désignée
sous le terme de vérité de la voie.
Lors de la deuxième mise en mouvement de la roue du
Dharma, essentiellement dans les soutras de la perfection
de sagesse, le Bouddha enseigne que notre ignorance est
à la base de toutes nos émotions perturbatrices et de
notre confusion – de nos pensées et sensations négatives
ainsi que des souffrances qu’elles provoquent. Il affirme
que notre ignorance fondamentale et les facteurs perturbateurs
qu’elle engendre ne sont pas la nature de l’esprit,
dont la faculté de percevoir les choses et les événements
est une fonction naturelle. La nature de l’esprit, pure par
essence, est décrite comme « lumineuse et sage ». Cette
description est soulignée dans les soutras de la perfection
de sagesse, qui présentent la nature essentielle de l’esprit
comme ayant le caractère de la claire lumière.
Extrait de Pratique de sagesse - Dalaï-lama