Djé Gardien du forum
Nombre de messages : 218 Age : 41 Date d'inscription : 30/08/2008
| Sujet: La pratique de la Dédicace des mérites Lun 1 Sep - 14:51 | |
| Bonjour, Dans le bouddhisme, la dédicace des mérites est une pratique très importante mais peu abordé par les sites bouddhistes et souvent abordé de façon anecdotique, en tout cas sur le net. Il existe plusieurs "formules" de dédicace selon les écoles, mais le sens global reste le même. Quels sont selon vous les bienfaits et l'utilité de la dédicace des mérites ? Amicalement, - Citation :
- Prière à réciter après une séance de méditation
SEUNAM/DI YI/ TAM TCHE/ZI PA NYI/
TOB NE/NYIE PEÏ/DRA NAM/PAM DJE NE/
KYE GA/NA TCHI/BA LAB/TROU PA YI/
SI PEÏ/TSO LE/DRO OUA/DREUL OUAR CHO/
DJAM PEL/PA OUEU/DJI TAR/KYEN PA TANG/
KUN TOU/ZANG PO/DE YANG/DE CHIN TE/
DE TA/KUN GYI/DJE SOU/DA LOB CHING/
GUE OUA/DI TA/TAM TCHE/RAB TOU NGO/
SANGYE/KOU SOM/NYE PEÏ/DJIN LAB TANG/
TCHEU NYI/MI GYOUR/DEN PEÏ/DJIN LAB TANG/
GUEN DUN/MI TCHE/DUN PEÏ/DJIN LAB KYI/
DJI TAR/NGO OUA/MEUN LAM/DROUP PAR CHO//
Par cet acte positif, puissé-je obtenir la connaissance de toutes choses,
Vaincre les ennemis néfastes et libérer les êtres qui sont ballottées
Par les vagues de la naissance, de la vieillesse
Et de la mort dans l'océan des renaissances.
Avec une sagesse semblable à celle du héros Manjoushri
De la même manière que Samantabhadra,
En apprenant à la suite de tous ceux-là,
Je dédie parfaitement toutes ces vertus.
Par la bénédiction des Trois Corps du Bouddha,
Par la bénédiction de la vérité immuable du Dharma,
Et par la bénédiction de l'aspiration continuelle de la Sangha,
Puissent cette dédicace et ces souhaits s'accomplir tels qu'ils sont formulés. - Citation :
- La dédicace universelle
une causerie d'Eric Rommeluère
Dans notre groupe, nous récitons à la fin de chaque méditation une dédicace en français. Vous la connaissez :
"Que ces vertus qui se répandent en tous lieux tarissent la source des souffrances et nous permettent avec tous les êtres de réaliser la voie de l'éveil."
Tout est dit en quelques mots, mais quel poids! Cette dédicace témoigne à la fois d'un engagement et d'une promesse. Nous nous dédions à l'éveil. Nous voulons vivre une authenticité intérieure. Et nous disons que cette authenticité ne peut non seulement négliger les autres mais qu'elle se nourrit de leur propre authenticité. Cette pratique n'est pas seulement pour nous-mêmes. Nous contemplons, nous considérons les existences et nous nous éveillons avec elles.
Cette dédicace est en fait des plus traditionnelles. Il s'agit d'une simple adaptation en français de "la dédicace universelle", les Japonais disent fuekô, peut-être la plus belle de toutes les dédicaces du bouddhisme. Elle est récitée quotidiennement dans tous les temples zen du Japon. Ces quatre vers sont extraits d'une stance qui se trouve dans le Sûtra du Lotus, au chapitre sept intitulé "La ville fantasmagorique". Ce chapitre conte l'éveil d'un Bouddha nommé Grands Pouvoirs Vainqueur en sagesse. Dans une longue stance, pas moins de cinq millions de myriades de dieux-brahmas chantent ses louanges! A la fin de leur hommage, ils s'exclament tous en choeur :
"Notre voeu est que, par ces mérites
universellement à tous propagés,
nous-mêmes et les êtres
réalisions tous ensemble la voie d'Eveillé."
Dans la lecture sino-japonaise, cela donne :
Negawakuwa kono kudoku o motte,
amaneku issai ni oyoboshi,
warera to shujô to
mina tomoni butsudô o jo zen koto o.
Je donne ici la traduction française de Jean-Noël Robert qui a traduit fidèlement le texte chinois (p. 179 de sa traduction du Sûtra du Lotus parue aux Editions Fayard). Kumârajîva, le traducteur en chinois, a ajouté l'expression "universellement à tous" (amaneku issai), qui n'existe pas dans l'original sanskrit pour garder, je pense, le même nombre de pieds. Depuis ces quatre vers détachés de la stance sont connus en Extrême-orient sous le titre de "la dédicace universelle". Il s'agit de la formule la plus ramassée pour clore un rituel dans la tradition zen.
Comme on le voit, la version que nous utilisons est une adaptation plus qu'une traduction, il n'y a pas par exemple l'expression "la source des souffrances" dans la version sino-japonaise. Au début de l'existence de notre groupe, nous ne récitions rien à la fin de la méditation. Au Japon, les dédicaces terminent habituellement les récitations de textes et non les méditations. Et puis quelqu'un du groupe, qui avait longtemps pratiqué dans un environnement tibétain, a fait une remarque. Il lui paraissait étrange qu'une pratique comme la méditation zen ne se termine pas par une dédicace. La remarque était pertinente. Car sans rien dire, nous pourrions nous méprendre sur le sens de la méditation. Mais en prononçant ces paroles, nous inscrivons bien la méditation dans un cadre bouddhiste. Mieux, nous nous permettons de vivre la méditation comme inspirée par une vie éveillée. Cet "ami de bien" a écrit la dédicace en français en l'adaptant de l'original et nous la récitons depuis de cette façon.
La récitation de dédicaces est une pratique constante dans les traditions du Grand Véhicule qui ne peuvent jamais séparer le bien d'autrui de son bien propre. Au Japon, on récite des textes sacrés et les mérites accumulés par ces récitations sont transférés à tel ou tel être. Lorsqu'on lit les dédicaces de l'école Zen, on peut être étonné de la liste des êtres auxquels on "transfère" ces mérites. Il existent des dédicaces particulières pour les dieux de la montagne ou pour les dragons par exemple. Il y a souvent une relation explicite d'échange : les moines font oeuvre de prières pour telle ou telle catégorie d'êtres. Ceux-ci en retour protègeront le monastère.
Mais il y a un autre sens dans la dédicace que je trouve plus profond encore. Il s'agit de se dédier soi-même. Le terme que l'on traduit par dédicace est en japonais ekô, littéralement "se tourner vers". Il est composé de deux idéogrammes, e qui signifie "tourner le dos, se tourner, revenir en arrière" et kô, "faire face, s'adresser à".
Dans l'école Tendai, on explique que ce terme possède trois sens :
- tourner le dos (e) aux phénomènes et faire face (kô) au principe ;
- tourner le dos (e) au soi et faire face (kô) aux autres ;
- tourner le dos (e) aux causes et faire face (kô) aux effets.
On pourrait dire regarder l'essentiel, regarder autrui et regarder le futur. Le terme évoque un retournement. Il s'agit d'aller à rebours de nos fonctionnements habituels, de bouleverser nos attitudes, se détourner de l'égocentrisme pour aller dans le sens de l'ouverture, ne plus se fourvoyer dans l'erreur mais s'ouvrir à la clarté.
Ekô a bien dans les textes bouddhistes un double sens, c'est à la fois dédier quelque chose comme la récitation d'un texte mais également se dédier soi-même. Dans cette deuxième attitude, c'est soi-même, tout entier, corps et esprit, qui est l'objet de la dédicace. Plus qu'on donne, on se donne. On trouve les deux sens chez Dôgen qui n'ignore pas le "transfert des mérites" mais qui sait que ekô se confond avec la voie de l'éveil. Il y a par exemple ce passage dans le Shôbôgenzô Zuimonki :
"Dans le bouddhisme, il y a ceux qui sont foncièrement doués d'amour et de compassion, de connaissance et de sagesse. Pour peu qu'ils étudient, ceux qui en sont dépourvus les réaliseront. Ils n'ont qu'à abandonner le corps et l'esprit, se dédier (ekô) dans le grand océan du bouddhisme, se reposer sur les enseignements du bouddhisme et ne pas rester dans les préjugés personnels."
[Buppô ni wa, jihi chie mo yori sonawaru hito mo ari. Tatoi naki hito mo gaku sureba uru nari. Tada shinjin o tomoni hôge shite, buppô no daikai ni ekô shite, buppô no kyô ni makasete, shikiyoku o son zuru koto nakare.]
(Shôbôgenzô zuimonki, Edition populaire, cinquième cahier, première causerie)
Le français ne peut véritablement rendre la subtilité du choix des mots de Dôgen qui utilise des figures de style typiquement chinoises comme le chiasme, l'opposition et l'appariement. Il emploie des verbes d'état d'une part : se reposer, rester, de l'autre des verbes d'action, abandonner (hôge su, lit. "laisser choir"), se dédier (ekô su, lit. "se tourner vers", qui a presque ici le sens de "se jeter"). Réaliser l'amour, la compassion, la connaissance et la sagesse nécessite une transformation, une conversion, un saut dans l'ailleurs. Ce dynamisme permet de quitter le soi égocentré pour entrer dans la dimension de l'éveil, ce que Dôgen appelle ici le bouddhisme.
Ce retournement, ekô, possède une double dimension, à la fois interne et externe. D'un point de vue intérieur, nous nous dédions à l'éveil, d'un point de vue extérieur, nous nous dédions aux autres. Mais l'intérieur et l'extérieur sont comme les deux faces d'une même feuille de papier.
Tout est dit dans la dédicace universelle :
"Que ces vertus qui se répandent en tous lieux tarissent la source des souffrances et nous permettent avec tous les êtres de réaliser la voie de l'éveil."
C'est l'essence du bouddhisme.
Le 20 septembre 2004.
source : http://www.zen-occidental.net/causeries/dedicace.html | |
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